Chronique francophone 1 : le tourisme africain porté par le MICE et le tourisme intérieur

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Publié le 09/02/24 - Mis à jour le 09/02/24

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Longtemps considéré comme une réalité touristique lointaine, le continent africain cherche à prendre toute sa place légitime. La Côte d’Ivoire accueille actuellement la Coupe d’Afrique des Nations (CAN 2024) et si la CAN 2024 met en lumière ce pays, jusqu’au 11 février, elle souligne aussi combien le continent africain devient un acteur dynamique et important du tourisme mondial. Par Brice Duthion

Selon l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), avec le Moyen-Orient et l’Europe, l’Afrique est l’un des continents où le tourisme international a continué de se relever après la crise de 2020. En 2022, l’Afrique du Nord a accueilli 31 millions du touristiques étrangers, l’Afrique subsaharienne plus de 25 millions. Quatre pays, l’Égypte, le Maroc, l’Afrique du Sud et la Tunisie ont concentré près des deux-tiers des arrivées totales. 2023 a été une année record pour les trois pays du Maghreb. Pour le contient, le nombre d’arrivées a atteint plus de 90% des niveaux pré-pandémiques entre janvier et juillet 2023.

Et pourtant, l’Afrique a longtemps été considérée par les professionnels du secteur comme une réalité touristique lointaine, uniforme et aux nombreuses barrières à l’entrée. « L’Afrique possède un potentiel touristique indéniable, tout comme l’est le potentiel du tourisme de jouer un rôle moteur dans le développement inclusif de l’ensemble du continent », explique Zurab Pololikashvili, secrétaire général de l’OMT. Ce sont cinquante-quatre réalités africaines qui existent, avec des puissances économiques et touristiques affirmées, comme l’Égypte, le Maroc, l’Afrique du Sud ou plus récemment le Botswana ou la Namibie quand la majorité du continent reste très loin de son potentiel.

Réussir sur le continent implique pour chaque acteur, entreprise ou investisseur, de développer une « ambition régionale ou panafricaine », d’en appréhender l’ensemble des zones d’influences qui sont à la fois économiques, historiques, culturelles et linguistiques (anglophone, lusophone et bien entendu francophone), c’est le terreau fertile d’une formidable créativité dont les acteurs en réussite ont su dominer l’océan de contrainte perçu, vu d’ailleurs.

De nombreuses stratégies nationales initiées durant la dernière décennie

La dernière décennie a vu de multiples évolutions à la fois démographiques, sociétales et urbaines dans les pays africains. Les métamorphoses y sont nombreuses. De nombreux investissements ont été effectués.

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De nouvelles stratégies touristiques comme le Plan Sénégal Emergent et ses infrastructures majeures

Quelques pays africains ont initié de véritables stratégies touristiques dès avant la pandémie. Le « Plan Sénégal Émergent » (PSE), présenté comme le cadre de référence des politiques de la « gouvernance Macky Sall » lancé en 2014, avait pour projet de faire du tourisme un levier actif du développement et d’y multiplier par quatre le nombre d’emplois. Pour y parvenir, des structures ont été créées. A Salyportudal, station balnéaire à 80km de Dakar, le Blue Bay un resort haut de gamme responsable a été inauguré en 2019. Le pays s’imagine en destination balnéaire mais aussi d’écotourisme, centré sur la découverte d’espaces naturels.

L’ambition affichée est d’attirer trois millions de touristes internationaux en 2023 et de placer, à l’horizon 2035, le Sénégal dans le top 5 des pays touristiques du continent.

En 2017, le Togo choisissait de miser sur le tourisme vert, d’attirer des touristes européens, amateurs d’espaces naturels sauvages et de safaris.

En 2019, la campagne « Year of Return » du Ghana pour marquer le 400e anniversaire de l’arrivée des esclaves africains aux Etats-Unis l’a positionné comme une destination pour les Afro-américains. En 2022, une stratégie « Destination Ghana », avec pour objectif un million de touristes internationaux en 2024, a permis pour les chaines hôtelières de miser sur des projets architecturaux modernes. C’est le cas par exemple de l’hôtel « African Regent » à Accra, « simply afropolitan ».

Au Bénin, le développement du tourisme est « multidimensionnel », à la fois balnéaire, culturel, mémoriel et de safari. Un projet d’aménagement de station balnéaire à Avlékété ambitionne de développer l'offre de tourisme balnéaire et écotouristique sur plus de 6 km de littoral avec plus de 200.000 m2 de bâti, comprenant une offre hôtelière internationale (Club Med), du résidentiel haut de gamme, un parcours de golf 18 trous, des commerces, des équipements de loisirs, etc. Plusieurs projets de musées ont vu également le jour : la rénovation du fort portugais de Ouidah qui abritera le musée international de la Mémoire de l’esclavage, un musée international du Vaudou à Porto-Novo, un musée d’Art contemporain de Cotonou, etc.

De nombreux projets post-pandémie

Dans d’autres pays, de nouveaux projets touristiques ont été initiés après la pandémie.  Certaines économies africaines ont développé une dépendance au tourisme particulière et y encouragent le retour de visiteurs internationaux. Si l’Afrique est associée aux grands espaces, aux parcs nationaux et à la faune sauvage, de nombreux pays développent des prestations nouvelles. Le secteur touristique représente 14% du PIB de l’île Maurice.

Pour reprendre une activité vive, les autorités locales y ont lancé un visa spécial d’un an destiné aux télétravailleurs du monde entier. Par ailleurs, la Tunisie, destination du tourisme de masse, est devenue la première destination africaine du tourisme médical, en accueillant 350.000 patients étrangers en 2022.

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Les 1ères Rencontres Africaines du Tourisme Durable au Gabon

En mai 2023, le Réseau africain des professionnels du tourisme (RAPT) a organisé au Gabon la première édition des Rencontres africaines du tourisme durable (RATD), afin de partager les expériences de pays notamment membres de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) et de la Communauté économique des États de l'Afrique de l’Ouest (CEDEAO).

L’éco-tourisme est encouragé pour en faire bénéficier les populations locales, par exemple au Rwanda dans le district Musanze à Nktosi. C’est l’un des villages faisant partie du Parc National des Volcans, réserve de biosphère de l’UNESCO reconnue internationalement et abritant 30% de la population mondiale de gorilles de montagne. L’observation des gorilles est la principale attraction touristique du Rwanda, mais l’offre doit être diversifiée afin d’assurer le tourisme comme source durable de revenus pour la population. Nkotsi a le label depuis 2021 de « best tourism villages » de l’OMT.

En Afrique du Sud, de nouveaux concepts hôteliers ont vu le jour. Le « Kruger Shalati – The Train on the Bridge », un ancien train a été repensé de manière à accueillir 31 chambres exceptionnelles, surplombant le majestueux paysage du Parc national. Dans le Parc national de Tsitsikamma, un dôme en verre perché dans les arbres, permet d’observer l’Océan Indien.

Le plan « Sublime Côte d’Ivoire »

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Lancement d'un plan de valorisation du tourisme ivoirien "Sublime Côte d'Ivoire"

Quant à la Côte d’Ivoire, qui accueille donc la CAN 2024, un plan stratégique national de développement touristique, « Sublime Côte d’Ivoire » y a été initié avec un budget de 3.800 milliards de FCFA (soit 5,8 milliards d’euros) pour la période 2018-2025. L’objectif principal est de promouvoir le tourisme ivoirien et faire du pays la cinquième destination africaine d’ici 2025.

La CAN est l’occasion de lancer de nombreux investissements pour y parvenir. Avec par exemple la construction de « Serena Village », un complexe touristique située dans la zone résidentielle de luxe d’Abidjan, des parcs à thèmes à Abidjan et à l'intérieur du pays, etc. Des investisseurs du Moyen-Orient, d’Asie et d’Europe y participent, ainsi que la Banque africaine de développement (BAD), sollicitée dans le cadre de la mise en œuvre de ce plan stratégique. L’accueil de la CAN 2024 a nécessité un investissement global estimé à 1,5 milliard de dollars pour construire ou rénover des stades, des routes ou des ponts. De nombreuses infrastructures ont été inaugurées paour accueillir les équipes, les délégations ainsi que les supporters.

De nouveaux hôtels sont sortis de terre pour héberger le 1,5 million de visiteurs attendus, venus notamment des pays voisins, le Burkina, le Ghana, la Guinée ou le Mali. Des « cités CAN » accueillent les vingt-quatre équipes qualifiées, avec une exigence maximale de sécurité, dans un contexte régional de tensions géopolitiques et de risques terroristes élevés. 20 000 membres des forces de défense et de sécurité sont mobilisés sur tout le territoire pour assurer la sécurité de cette CAN 2024 qui doit être, selon le président Ouattara, « la plus belle de l’histoire ».

Le football, un outil de « soft power » touristique

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Partenariat entre le Tchad et le club de football de Metz

Il est d’ailleurs intéressant d’observer que le football est devenu un outil de « soft power » du tourisme africain. Le Tchad en a été le précurseur avec un partenariat signé en 2016 avec le FC Metz. Un contrat de trois millions d’euros matérialisé́ par l’affichage du slogan « Tchad, Oasis du Sahel » sur le maillot messin, suspendu en février 2017.  

Le Rwanda s’affiche sur les maillots de grands clubs européens, Arsenal, PSG et Bayern Munich. Les partenariats avec les deux premiers ont permis selon des données publiées à Kigali d’attirer un million de visiteurs et de générer plus de 160 millions de dollars de recettes touristiques.

Outre la CAN 2024, la Côte d’Ivoire a décidé́ de signer un partenariat avec l’Olympique de Marseille. Le logo « Sublime Côte d’Ivoire » est présent les shorts des joueurs marseillais depuis le début de la saison 2023-2024. L’Afrique du Sud a souhaité parrainer le club Tottenham. Mais le contrat estimé à 52 millions de dollars sur trois ans n’a pas été finalisé.

L’enjeu du tourisme intérieur

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Le Noom Hôtel sur le plateau d'Abidjan, géré par Mangalis

L’un des enjeux de la croissance touristique africaine réside dans le tourisme intérieur. L’émergence d’une classe moyenne en quête d'un tourisme local expérimental. Ce tourisme intérieur s’adresse aux locaux et aux diaspora africaines. Il va assurément jouer un rôle important dans la définition de l’avenir de l’Hospitality. Le secteur y est porté par une double dynamique.

En Afrique francophone, le tourisme intérieur joue un rôle crucial dans le développement économique, social et culturel de la région et de ses territoires. Au cours des dix dernières années, cette importance s'est accrue de manière significative. Favorisant l’intégration régionale, de nombreux Etats ont souhaité réduire leur dépendance au tourisme international et aux grands voyageurs du Monde en partant à la conquête de nouveaux clients et usages. Une démarche pertinente accélérée par la contrainte d’une pandémie séculaire brutalement née en 2020.  Les principales chaines hôtelières (Mangalis, Azalaï, Onomo, etc.), présentes sur le continent, développent des réseaux d’hôtels économique et milieu de gamme dans les villes d’affaires de la sous-région. IvoireTrip propose sur sa plateforme digitale des voyages immersifs pour découvrir l’intérieur du pays.

Le tourisme d’affaires ne cesse de grandir

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Le tout nouveau parc des Expositions d'Abidjan, Sénégal

Parallèlement, le tourisme d’affaires ne cesse de grandir dans la région. Témoin de cette dynamique, la construction et l’inauguration récente du Parc des expositions d’Abidjan en juillet 2023 sur près de 14.000 m2 et pouvant accueillir 11.000 visiteurs conjugué au prochain doublement de la capacité de trafic passager de l’aéroport international Felix Houphouet Boigny. L’avenir du tourisme en Afrique, notamment francophone, s’avère particulièrement prometteur avec une démographie favorablement orientée, une richesse territoriale remarquable et une classe moyenne au pouvoir d’achat grandissant en forte croissance, une appétence pour des expériences culturelles et naturelles totalement africaines. La stratégie touristique du Togo pour la période 2023-2027 repose sur trois piliers : les voyages intérieurs, l’écotourisme et le MICE (ou tourisme d’affaires).

Le tourisme africain est en pleine évolution et en pleine croissance. La CAN 2024 permet de le souligner et de le montrer aux yeux du monde, mais également aux populations locales, cibles privilégiées des stratégies nationales et régionales. Renforcer les infrastructures touristiques passe par quelques axes identifiés par les différents acteurs : améliorer la connectivité aérienne régionale, faciliter la délivrance des visas, garantir la sureté et la sécurité des touristes, investir dans la formation professionnelle, mettre en valeur le capital humain, mettre l’accent sur l’innovation et les stratégies de marque.

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