Maud Bailly, CEO Southern Europe chez Accor dépeint les quatre enseignements issus de cette crise inédite : 1. la réassurance sanitaire, une nouvelle préoccupation client qui fait désormais l'objet du label AllSafe lancée en juillet 2020, 2. la flexibilité avec des méthodes de réservations retravaillées et une offre coworking qui répond au besoin de modularité des clients, 3. la proximité avec un hôtel qui vit à la lumière de son quartier et 4. la solidarité et la quête de sens afin de travailler ensemble pour affronter cette période inédite. Une discussion avec Vanguélis Panayotis, CEO MKG Consulting.
Votre prise de fonction au 1er octobre 2020 était une entrée en matière vigoureuse.
Maud Bailly : Cela s'appelle un sens du timing. Après trois années et demie à la tête de la transformation digitale d’Accor, j’étais très heureuse de revenir aux opérations. Je dis revenir parce que j'ai eu des fonctions opérationnelles quand j'étais chef de gare.
Pouvez-vous faire un point à date [10 février 2021] de la situation côté Accor ?
Maud Bailly : Nous avons eu une année très dure au sein du groupe Accor. Le secteur a été touché avec une violence que personne n'aurait imaginé.
La dernière crise violente qui a touché le secteur de l'hôtellerie, c'était celle des subprimes en 2008-2009. Elle avait entraîné une chute du chiffre d'affaires de 12%. Là, au deuxième trimestre de l'année 2020, nous avons enregistré une chute de -88% en termes de RevPAR. C'est inédit parce que c'est systémique, mondial et nous avons très peu de contrôle sur les leviers de reprise.
Ceci dit, j'ai envie d'être optimiste. Nous avons une progression de la vaccination et quelques signes positifs au Moyen-Orient et en Chine. Les gens ont envie de voyager et envie de consommer à nouveau de l'hôtellerie. Il suffit de regarder la performance que nous avons pu observer l’été 2020. J'ai bonne matière à dire que cela va revenir fort. Il faut juste être courageux et tenir jusqu'à avril-mai 2021.
Aujourd'hui, nous avons une crise de la mobilité. Dès que gens seront libres, cette envie de se retrouver et de partager des choses ensemble reviendra.
Maud Bailly : Comme l’a dit Aristote, nous sommes des êtres sociaux. Nous avons fondamentalement besoin d'interagir. Je trouve que la crise nous a prouvé que nous pouvions faire des choses à distance avec l’aide du digital. Nous garderons cet enseignement, y compris en termes de management et de bonnes pratiques. Mais fondamentalement, nous avons besoin de voyager, de découvrir des pays et des cultures, de nous retrouver et de célébrer. Je crois que l'hôtellerie a encore de beaux jours devant elle.
Un grand réseau peut avoir des difficultés à être souple et agile dans les périodes de crise, mais il permet aussi d'avoir du "test and learn". Qu'avez-vous pu mettre en place où observer à travers votre réseau ?
Maud Bailly : Quand vous avez 5,100 hôtels dans 110 pays, tu peux observer des laboratoires en anticipation de l'évolution de la crise. Quand nous avons été touchés de plein fouet en Europe, l'Amérique du Sud n'était pas encore touchée. Il voyait la crise arriver. Inversement, la Chine était touchée avant nous, mais elle est en train de rebondir. Nous voyons de bonnes pratiques qui émergent, dont nous pouvons nous inspirer. Nous avons plutôt la capacité à observer en 360 les différentes réactions à la crise et à apprendre les uns des autres pour mieux rebondir.
Après le 11 septembre, il a fallu rassurer tout le monde. Aujourd'hui, plus personne ne se pose la question de passer des portiques à l’aéroport. Penses-tu que la réassurance sanitaire va devenir naturelle ?
Maud Bailly : Nous ne pouvons pas être totalement dans l'amnésie. Sébastien Bazin dit souvent qu'il ne faut pas gâcher une crise. Il y a forcément des choses à apprendre. Nous risquons malheureusement d'avoir à faire face à d'autres pandémies. Mais nous aurons appris à nous mettre davantage en ordre de marche afin de faire revenir les clients plus vite. Je pense donc que le label AllSafe va durer.
Une autre attente qui est très forte, c'est la modularité et la flexibilité que ce soit de nos collaborateurs ou de nos clients. Avant, j'avais des pratiques de réservation 10 jours à l'avance. Aujourd'hui, j'ai des pratiques de confirmation de réservation deux jours à l'avance. Autant te dire qu'en terme de prédictibilité et de comportements consommateurs, il a fallu que nous révisions toute notre gamme tarifaire avec du flex, du flex, du flex. Les gens étant dans un environnement où ils n'ont pas beaucoup de contrôle, il faut leur donner de la flexibilité.
Il y a 40 ans, l'hôtel était un lieu de vie où nous nous retrouvions et fêtions les fêtes sociales. Le quartier se retrouvait pour prendre le thé ou le café. Penses-tu que nous allons revenir vers ce type d'usage ?
Maud Bailly : Si tu regardes le segment lifestyle avec des enseignes comme Mama Shelter qui marche très bien. Ce sont des marques qui ont au moins 50% de clientèle locale et cette clientèle ne vient pas séjourner dans un Mama Shelter. Elle vient consommer de la restauration et partager des moments de convivialité, que ce soit le matin, l’après-midi ou le soir.
Dans la même logique, tout ce qui est coworking se vit dans l'hôtel. Nous voyons de plus en plus de voisins de l'hôtel qui viennent travailler une matinée, une après-midi ou toute la journée.
Je pense que nous allons totalement renouer avec l'hôtel en tant que lieu de vie, ce qui en fait est le poumon du quartier. Un hôtel vit donc à la lumière de son quartier. C'est pour cela que le confinement a été aussi dur. Lorsque tu n'as plus de commerce, plus de congrès, plus de salon, plus de théâtre, plus de culture, cette économie s'enrhume et l'hôtel tousse encore plus. Et inversement, dès lors que les quartiers reprendront vie, l'hôtel va vivre au rythme de ceux-ci.
Cette crise nous a permis de nous rendre compte de l’interdépendance des acteurs de l’hôtellerie. Lorsque les restaurants ne sont pas ouverts, ce n'est évident pour toute la destination. Comment vois-tu le rôle Accor dans cette relation et cet accompagnement ?
Maud Bailly : Il y a deux tendances qui m'ont beaucoup touchée et qui vont être décisifs pour demain. La première, c'est que les gens ont une aspiration à faire des expériences authentiques. Ils ne vont que dans un hôtel pour vivre quelque chose. Il y a une appétence autour du bien-être, de la connexion à la nature, de la reconnexion avec soi et de la detox digital.
La deuxième, c'est tout ce qui est solidarité et ce besoin de sens. Tu as vu l'engagement d'Accor, comme d'autres acteurs. Nous avons quand même 3,000 collaborateurs avec tous nos propriétaires. Nous nous sommes dit que face la violence de crise, nous ne pouvions pas laisser les pouvoirs publics la gérer toute seule.
Que va-t-il nous rester de cette crise ?
Maud Bailly : La notion de modularité. Cela n'a pas tant changé la donne qu'accélérer des tendances, notamment la transformation digitale. Je le dis en riant parce que j'ai été CDO mais, il y avait beaucoup de blagues qui circulaient en disant « Quel est le principal facteur de transformation digitale des entreprises : le CEO, le CDO où le COVID-19 ? » La réponse est le COVID-19.
Nous avons basculé en un temps record en télétravail avec un usage digitale totale que nous aurions peut-être mis trois, quatre, cinq ans à mettre en place.
Après, je ne suis pas pour le tout digital. Je ne veux pas des hôtels uniquement opérés par des robots. L'accueil, l'empathie, le sourire et l’attention apportés par nos collaborateurs ne trompent pas et ce n’est pas le digital qui va créer ces émotions.
Malgré le contexte, avez-vous eu des ouvertures sur la zone Europe du sud ?
Maud Bailly : Nous avons eu de très bons flagship en 2020. C'était une vraie fierté et cela continue. Les gens se projettent. Nous venons ouvert un Novotel à Megève et nous allons ouvrir un Mama Shelter à Rome en mai ainsi qu’un SO/ Sotogrande à Cadix l’été prochain. Il y a une appétence et une fidélité au secteur de l’hôtellerie. Nous avons des chiffres pour 2021 qui sont très prometteurs.
A moyen terme, c'est un secteur qui va retrouver son dynamisme. Jusqu’à maintenant l'hôtellerie est restée une industrie bénie des dieux : 5% de demandes chaque année versus 2% uniquement d'évolution du parc, à la faveur de la démocratisation du voyage, de l'ouverture des frontières et de l'aspiration à plus d’expériences. Les gens vont se remettre à consommer, peut-être différemment mais je crois beaucoup plus aux tendances lifestyle (plein air, bien-être, divertissement, restauration).