Fin du voyage pour l’A380

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Publié le 14/02/19 - Mis à jour le 23/10/24

un A380 au démarrage

Ce jeudi 14 février, le CEO d’Airbus a annoncé la fin de la production des A 380 pour 2021 ; conséquence, entre autres, d’une renégociation du contrat liant le constructeur à la compagnie Emirates. Les résultats du géant Européen, publiés le même jour, restent « solides » pour l’année 2018. La fin d’une vie compliquée pour l’engin très gros porteur, qui n’aura jamais réellement réussi à trouver sa place sur le marché si compliqué qu’est l’aérien.

L’annonce et les raisons d’un échec

La nouvelle est tombée ce jeudi 14 février via communiqué de presse : Airbus va stopper la production des A380 à l’horizon 2021. Une nouvelle qui rappelle en cette Saint-Valentin que l’amour du public pour un appareil ne fait pas pour autant son succès. La production de l’appareil ne tenait que grâce au contrat entre Emirates et le constructeur, or la compagnie du Golfe vient de faire passer sa commande de 162 à 123 appareils, signant l’arrêt de mort pour la construction de ce géant du ciel. Emirates faisait depuis longtemps office de sauveur ou d’arbitre pour la production, en représentant presque la moitié des commandes. Or le transporteur a vu sa croissance nettement ralentir ces dernières années : problèmes de taux de changes, instabilités géopolitiques (crise avec le Qatar), croissance plus faible que prévu du nombre de passagers dans les pays du Golfe… Bref : le groupe ne pouvait plus se permettre de maintenir sa commande, et faute de nouveaux acheteurs, l’A380 arrive en bout de piste. Un événement qui n’a, en fait, rien du coup de théâtre : le 31 janvier dernier, Airbus, par communiqué, expliquait être entré en négociation avec Emirates. Le CEO du groupe, Tom Enders, résume bien la situation : « la conséquence de cette décision (d’Emirates ndlr) est que notre carnet de commandes n’est plus suffisant pour nous permettre de maintenir la production de l’A380, et ce, malgré tous nos efforts de ventes auprès d’autres compagnies ces dernières années. »

L’avion avait du mal à se vendre : tout simplement. D’abord, car cet avion qui peut transporter jusqu’à 900 personnes dans sa configuration la plus économique, reste très gourmand en Kérosène. Un problème que le constructeur n’a jamais réellement pris à la bras le corps, en proposant, par exemple, une version moins gourmande de son avion. L’A380 NEO longtemps annoncé n’a jamais vu le jour, et l’A380 Plus ne permettant qu’une économie de carburant de l’ordre de 4%. Ensuite, l’avion étant un quadri réacteur, il était considéré comme plus risqué, avec un nombre de possibilité de pannes démultiplié. L’appareil nécessitait aussi des investissements et des infrastructures adaptées dans les aéroports. Sans compter que l’avion était avant tout utilisé comme un produit premium, avec une moyenne de 500 passagers là où théoriquement 900 seraient possibles. En bref : trop de problèmes qui ont empêché l’avion de trouver son marché.

Cela dit, ce n’est pour autant pas une disparition complète de l’appareil : ce dernier écumera les airs encore jusqu’au milieu des années 2030 au moins, selon le communiqué côté Emirates. D’ailleurs, en échange de cette annulation pour l’emblématique avion la compagnie passe une nouvelle commande : 40 A330-900 et 30 A350-900. Deux avions pouvant accueillir jusqu’à 300 passagers (un peu moins de 300 pour le A330-900 et autour de 360 pour le grand frère à A350). Autre bonne nouvelle pour l’emploi à Airbus - surtout sur le site de Blagnac – le constructeur continuera a assurer le service après-vente et les réparations/suivis des avions. Il faudra voir comment la discussion entre les partenaires sociaux, syndicats et entreprises, permettront d’assurer l’avenir des quelques 3500 employés pour le moment affectés à l’A380.

avion de fly emirates

Le marché de l’aérien.

Outre les problématiques liées à l’état des finances d’Emirates, l’A380 s’est en fait heurté à de nombreux problèmes plus généraux de l’aérien.

Le premier, bien évidemment, ce sont les problématiques de coûts du carburant. Sur ce point les 4 moteurs de l’A380 deviennent des défauts critiques : il y en a 2 de trop. En face, le B777-300 ER, lancé à peu près au même moment, permet le transport de 350 personnes pour seulement deux réacteurs : un peu moins de place que l’A380 certes, qui avait une moyenne de 500 personnes, mais beaucoup moins de kérosène de consommé. D’autant que la problématique du pétrole ne se pose pas qu’en termes de concurrence ou d’économie sur les consommations des avions : le problème a une envergure tout autre, macroéconomique.

Il suffit de prendre le dernier rapport « World Energy Outlook » publié par l’agence internationale de l’énergie (créée par l’OCDE), la conclusion est sans appel : « Le risque de resserrement de l’offre est particulièrement prégnant pour le pétrole. Ces trois dernières années, le nombre moyen de nouveaux projets approuvés de production de pétrole conventionnel ne représente que la moitié du volume nécessaire pour équilibrer le marché jusqu'en 2025 ». L’arrivée du fameux pic de production qui fait tant fantasmer ? Si pour le moment les stocks, les actions de l’OPEP, et surtout les sources non conventionnelles permettent de maintenir un cours autour des 50 dollar le baril, le prix risque d’augmenter dans un avenir proche. En tout cas si aucun investissement n’est fait pour relancer la production et suivre la demande, c’est notamment ce que dit l’agence pour l’énergie dans son dernier rapport.

Perspectives pétrolières à l'horizon 2025 sans reprise de l'investissement pétrolier conventionnel (source : agence mondiale pour l’énergie)

évolution production et consommation de pétrole conventionnel sans investissement

Et évidemment derrière l’énergie pointe le problème de l’environnement. D’ailleurs, le 13 février 2019 les Pays Bas ont proposé lors d’un conseil des ministres européen de l’économie, une taxe sur les rejets de CO2 des avions. L’aviation, selon le GIEC (le groupement international pour l’étude du climat), serait, selon les estimations, responsable de 5% du forçage radiatif terrestre : c’est-à-dire schématiquement 5% du réchauffement global. Un chiffre en fait énorme et sans doute sous-évalué. Et qui permet de comprendre en 2016 la signature d'un accord par les pays membres de l’organisation de l’aviation civile internationale, pour tenter de réduire les émissions de gaz à effet de serre du secteur.

Mais d’autres problèmes constitutifs du marché de l’aviation ont pesé sur la vie de l’A380. Par exemple : la congestion des aéroports n’a pas eu lieu. Face à la hausse continue du nombre d’arrivées internationales (autour des 1,2 milliards selon l’Organisation Mondiale du Tourisme) s’est posé la question d’une saturation des aéroports : l’A380 devait permettre de garder les infrastructures existantes tout en faisant aux hausses du trafic. En fait, garder le même nombre de créneaux d’arrivées et de départ, le même nombre de pistes, mais augmenter le volume de passagers par la mise en circulation de plus gros avions. Problème : pour le moment, ce n’est pas la piste qui a été choisie par les décideurs. Par exemple à Tokyo, c’est la construction de l’aéroport de Narita pour faire face à la congestion de celui de Haneda. Et dans la même logique, celle de la multiplication des infrastructures, les liaisons entre hub, sur lesquelles l’Airbus aurait pu être très performant, n’ont pas eu la hausse escomptée : plutôt que des liaisons gros porteurs entre deux hubs puis des correspondances avec des avions plus légers vers les destinations, ce sont des trajets de point à points qui se sont développés, notamment permis par l’arrivée des Low Cost, des moyens/long courrier, d’une amélioration des réservoirs et de la consommation.

Et les problématiques citées ici ne sont pas exhaustives, mais un simple panel de tous les écueils que l’avion d’air France avait à surmonter... avant de finalement échouer et de se prendre le train d'atterissage dans le tapis.

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