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Design hôtelier : casser les codes pour mieux se démarquer

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Publié le 23/07/13 - Mis à jour le 17/03/22

Depuis l’apparition des premiers boutiques hôtels, à l’origine réservés à une clientèle branchée et aisée, le design s’est démocratisé. Après avoir fait ses premiers pas dans l’hôtellerie indépendante, où il reste mieux développé, le mouvement prend davantage d’ampleur au sein des enseignes et des groupes hôteliers internationaux. Notamment dans le contexte actuel où l’identité et la particularité des établissements sont importantes. L’industrie hôtelière représenterait aujourd’hui 20% des structures dédiées au design en France, contre 10% en 2002, selon une étude réalisée par l’Agence pour la Promotion de la Création (APCI) et l’Institut Français de la Mode (IFM). Les architectes d’intérieur tentent alors de casser les codes de l’hôtellerie traditionnelle tout en s’inspirant de l’environnement de l’établissement.

La volonté des hôteliers de se différencier des autres les pousse à vouloir offrir une expérience particulière et unique. Une tendance qu’observe Gérard Laizé, directeur du VIA (Valorisation de l’Innovation dans l’Ameublement), et qu’il explique par les évolutions sociétales de ces dernières années : «aujourd’hui, la notoriété des hôtels n’a pas le même sens pour les clients qu’il y a 20 ou 30 ans. Avant, elle correspondait à une hiérarchie sociale reproduite au sein des établissements : les classes populaires allaient au Ibis et les plus aisés au Sofitel. L’époque était très sociostyle et un certain standing était attribué à chaque catégorie socioprofessionnelle. Les choses sont différentes aujourd’hui et le client veut être maître de ses propres choix et donc recherche une expérience particulière qu’il ne pourrait pas vivre chez lui». Une fois ce constat fait, les architectes d’intérieurs peuvent tout se permettre. Une tendance qui amène les hôtels à vouloir se démarquer le plus possible, comme le font les Mama Shelter de Paris et de Marseille. Un point de vue que partage l’architecte d’intérieur Marc Hertrich lorsqu’il explique que l’une des tendances d’aujourd’hui est de «personnaliser les lieux, contrastant avec l’hôtellerie d’hier qui misait plus sur la standardisation. Désormais, les chaînes personnalisent un hôtel par rapport à un autre même s’ils portent le même nom». Selon Manfred Terliesner, directeur au sein de la société de rénovation spécialisée dans l’hôtellerie, Tenbrink, les clients d’aujourd’hui ont pour la plupart déjà une expérience du voyage leur permettant de comparer, à cela s’ajoutent le confort de leur domicile qui les amène à rechercher un peu de surprise lors de leurs déplacements. Décoré par l’agence Nuel, l’hôtel Renaissance Paris Le Parc Trocadéro surfe sur cette tendance en offrant une décoration entièrement basée sur le thème du jardin, à l’image de celui qui entoure ses bâtiments. Les chaînes sont désormais conscientes de l’importance de la différenciation et que le design est un outil pour y arriver. Car devant la difficulté croissante des hôtels de se différencier par les services qu’ils proposent, il peut influencer le choix des clients.En ce qui concerne la différenciation et l’expérience particulière, Jean-Philippe Nuel ne manque pas d’inspiration. L’architecte en charge d’importants projets comme la réhabilitation en hôtel de la piscine Molitor de Paris, des Hôtels-Dieu de Marseille et Lyon ou encore du Palais de Justice de Nantes, va plus loin et imagine l’hôtellerie de demain : «je pense qu’il faut faire des choses qui ne ressemblent plus à des hôtels. Il faut enlever l’impression que le client a d’être dans le même établissement quelque soit l’endroit, le pays et la ville où il se trouve. Car le problème d’aujourd’hui est que tous les hôtels répondent aux mêmes règles et qui dit même règles, dit même codes, notamment au niveau de l’aménagement».Casser les codes traditionnels de l’hôtellerieLes espaces n’ont alors plus de limite et les fonctionnalités ne sont plus définies. Le temps des chambres carrées répondant à un plan précis, avec le placard à gauche et la salle de bain à droite, tend à être révolu. Du lobby à la chambre, aucun espace n’est épargné : «Aujourd’hui l’objectif est de casser les codes de l’hôtellerie traditionnelle qui renforcent le sentiment d’unicité. Il ne faut pas seulement changer les couleurs et les matières mais essayer de renouveler entièrement l’expérience du client», explique Jean-Philippe Nuel. Pour y arriver designers et architectes d’intérieur ne manquent pas d’inspiration, notamment autour du concept de la multifonctionnalité des lieux comme du mobilier. Une idée que Marc Hertrich, co-fondateur avec Nicolas Adnet du Studio MHNA, illustre par l’ouverture des espaces : «en faisant tomber les cloisons, on désacralise les fonctions des lieux. On peut par exemple ouvrir la réception sur le bar puis le bar sur le restaurant et ainsi de suite afin de donner plusieurs utilités à un même espace». L’architecte pousse la multifonctionnalité un peu plus loin et suggère de proposer des services de restauration au sein même du lobby. Les espaces ne sont alors plus délimités et peuvent s’adapter aux envies des clients. L’ouverture permet également de gagner visuellement de la place et facilite la circulation des clients comme du personnel. Un concept que l’on retrouve dans les dernières créations de l’architecte, comme au nouveau Sofitel Tour Blanche de Casablanca, ouvert depuis le mois de juillet 2012 et dont les espaces sont très ouverts les uns sur les autres afin d’ôter toutes limites aux lieux. Pour Marc Hertrich, cela permet de garder une activité permanente dans chaque endroit de l’hôtel : «J’ai le souvenir, dans des hôtels classiques, de bars qui fermaient à partir d’une certaine heure en éteignant les lumières de l’établissement. S’en suivait alors une impression de vide». C’est cette impression que l’architecte tente d’éviter le plus possible dans ses travaux, en faisant en sorte que les espaces s’adaptent en fonctions des envies des clients et des différents moments de la journée afin de garder un minimum de vie en permanence dans l’hôtel. Une opinion que partage Manfred Terliesner: «Dans les espaces publics, la division rigide est de plus en plus dissoute et des transitions plus douces sont créées, apportant plus de vie, d’urbanisme et de communication. Tout cela n’est pas compris dans les concepts qu’offrent les hôtels traditionnels, ou du moins pas dans l’ampleur et le format souhaité de nos jours».Pour y arriver, les architectes jonglent également avec l’éclairage et le mobilier. Les tailles des tables de restaurant ou de bar varient, se rehaussent ou s’abaissent, et les chaises sont plus confortables afin que l’attribution du mobilier à un espace ou à une fonctionnalité soit moins évidente. Du côté de l’éclairage, on joue sur l’intensité et les couleurs afin d’adapter la lumière aux différents moments de la journée. Des techniques que l’on retrouve au Sofitel Thalassa, tout juste rénové, où les fauteuils s’installent dans les bars comme dans les restaurants de l’hôtel.Toujours dans le lobby, d’autres codes de l’hôtellerie traditionnelle agacent les designers comme ceux de la réception. Gérard Laizé constate aujourd’hui «un ras le bol général des clients d’être accueillis derrière un comptoir de banque et un désir d’accueil plus chaleureux avec un service plus rapides". Le desk apparait alors obsolète, notamment devant les nouvelles technologies qui permettent de faire les check-in directement depuis un téléphone portable installé dans un salon ou dans une chambre. Un constat que réalise égalent Marc Hertrich : «aujourd’hui on incite davantage les clients à s’assoir, notamment dans le lobby et à la réception. De plus avec les nouvelles technologies, on n’est plus obligé de faire les check-in debout derrière un comptoir. La tendance générale étant d’être plus prévenant envers le client et notre travail d’accompagner cette tendance en proposant des solutions d’aménagement». Toutes ces évolutions s’expriment également dans l’univers de la chambre, notamment avec l’ouverture des salles de bain déjà pratiquée depuis plusieurs années dans certains établissements. Plus récemment, l’apparition des télévisions dans les salles de bain illustre un peu plus la volonté de mélanger les espaces et leurs fonctions. Aujourd’hui, les architectes franchissent un pas supplémentaire en fractionnant la salle de bain dans la chambre, séparant par exemple la baignoire du reste de la pièce pour l’installer devant une baie vitrée, si le vis-à-vis le permet. Une technique que l’on retrouve notamment au Hi-Hotel de Nice, où les chambres se moquent des codes de l’hôtellerie traditionnelle. C’est ainsi que la coiffeuse fait son retour dans les chambres, permettant de faire des activités traditionnellement réalisées dans la salle de bain dans la chambre, comme à l’hôtel Martinez de Cannes réalisé par Marc Hertrich et Nicolas Adnet. Une tendance qui amène avec elle de nouvelles techniques d’ameublement comme la tête de lit/cloison qui sépare la chambre de la salle de bain et à laquelle s’adossent les vasques. Pour Jean-Philippe Nuel, «tout n’a pas besoin d’être rassembler dans une même pièce, il faut laisser la possibilité au client de gérer lui-même l’espace, lui permettant par exemple de fermer ou pas la salle de bain». La tendance concerne également les autres équipements de la chambre. La table de chevet peut alors devenir une table d’appoint et les assises être polyvalentes. «Prenons l’exemple des grands bureaux posés contre le mur, combien de gens les utilisent aujourd’hui ? De mon côté je privilégie une simple table multi usages sur laquelle les clients peuvent travailler dans plusieurs positions et orientations différentes», explique l’architecte. Manfred Terliesner observe d’autres pratiques similaires dans les travaux de rénovation de la société Tenbrink: «Les concepts rigides de l’espace sont de plus en plus remplacés par des meubles isolés avec des possibilités d’utilisation flexible, rehaussant le caractère chaleureux de la pièce. Les bureaux sont ainsi déplacés de leur position fixe au mur ou à la fenêtre et différentes possibilités d’arrangement sont offertes, avec une vue directe sur le téléviseur par exemple. Les téléviseurs eux-mêmes sont installés de façon pivotante et sont visibles à partir du lit et du bureau. Des tabourets confortables peuvent être positionnés de manière flexible dans la pièce et peuvent également être utilisés comme porte-bagages».Doit-on se diriger vers le 100% modulable ?Le design hôtelier se dirige alors vers la modularité. Une tendance inspirée par la technologie, comme l’explique Jean-Philippe Nuel : «la technologie nous fait travailler différemment donc vivre différemment, en changeant nos habitudes ainsi que notre mobilier». La tendance de fond se dirige vers une plus grande modularité et un aménagement possible des espaces en fonction de l’envie du moment du client. Le mobilier transformable, les matériaux utilisés pour les cloisons qui font varier la lumière, la couleur, la partition favorisent cette tendance. C’est notamment ce qu’a souhaité faire Novotel avec la chambre 3120.Tous les codes de l’hôtellerie classique y ont été repensés par Naço Architecture afin de répondre aux attentes d’un client ultra-connecté dans une pièce entièrement modulable. Libérée des codes de l’hôtellerie classique, elle propose de transformer la chambre en espace de jeux ou en lieu de travail, selon les clients et les différents moments de la journée. Un concept que l’on retrouve plus simplement dans les chambres Next de la chaîne. Spacieuses et modulables, elles s’adaptent au style de vie de chacun, qu’il souhaite travailler ou se détendre, seul ou en famille, et reprend notamment des codes de la salle de bain avec une innovante cloison de verre qui s’opacifie selon les envies. Mais le 100% modulable n’a pas que des partisans. Pour l’architecte d’intérieur spécialiste du luxe, Sybille de Margerie, «à vouloir donner plusieurs fonctions à un même lieu, on perd en confort car on doit faire des compromis sur l’une des deux fonctions. Prenons l’exemple du canapé lit, ce n’est ni un bon lit, ni un bon canapé». Il apparait alors nécessaire de mettre des limites à la modularité et de laisser au client la liberté de disposer des espaces comme il le souhaite en lui proposant éventuellement plusieurs options. «Il ne faut pas figer les choses car les clients doivent pouvoir s’approprier les lieux selon leur propre manière de vivre. On peut par exemple rendre accessibles les technologies depuis le lit pour les personnes qui ont l’habitude de travailler dessus, ou encore installer des tables polyvalentes permettant de travailler et de dîner. Mais je suis contre les chambres qui se transforment en meeting room car le confort n’est pas là et de plus ce n’est absolument pas adapté à l’hôtellerie de luxe», explique Sybille De Margerie. Les couleurs et les matières s’adaptent au lieu Avant de casser les codes de l’hôtellerie classique, la différenciation peut se faire par la situation géographique. «Avant, la modernité se voulait par définition internationale alors qu’aujourd’hui l’attente du client est plus de créer une modernité au sein même du lieu où il se trouve. On peut alors associer le design à une accroche locale», explique Jean-Philippe Nuel. Les hôtels adaptent ainsi davantage leur décoration à leur environnement, tant dans les couleurs et les matières utilisées que dans l’aménagement. Pour l’architecte, cette médiane est spécifique à chaque projet et peut être le mélange de l’ancien et du moderne, une accroche plus culturelle comme l’art local ou une gamme chromatique. Cette dernière technique étant souvent utilisée par Sybille De Margerie : «nous utilisons des langages de couleurs adaptés aux lieux dans lesquels se trouvent les établissements». Ce qu’illustre parfaitement son travail au Mandarin Oriental de Paris. L’architecte y a utilisé des teintes orange et fuchsia avec toute une gamme de tons poudrés afin de créer une ambiance haute couture à l’image de Paris, capitale de la mode. Le choix des matières suit la même thématique, soit sophistiquées comme la soie, le velours ou le marbre. «Nous aimons nous inspirer des éléments culturels qui entourent un lieu, mais toujours en les revisitant. Le Mandarin Oriental est une traduction moderne et personnelle du Paris des années 30», explique l’architecte. Avec un fil conducteur différent et plus urbain, l’agence d’architecture d’intérieur Del In s’est également inspirée de l’environnement parisien pour la décoration de l’Hôtel Arc de Triomphe Etoile. La Tour Eiffel, l’Arc de Triomphe, le Louvre, le Sacré Coeur ou encore Notre- Dame figurent ainsi successivement dans les chambres via des fresques murales inspirées de la culture «street» et réalisée par Wozdat, tout comme le plan de métro sur les murs du lobby.Une technique que l’on retrouve également dans les travaux de Jean-Philippe Nuel, notamment au Tonic Hotel de Marseille où l’architecte a souhaité exprimer la mer et les calanques avec un jeu de tons camaïeux allant du blanc au marron et contrastant avec le bleu turquoise. De même au Grand Tonic de Biarritz où les couleurs beige et bleu rappellent la grande plage qui se trouve à proximité de l’hôtel et les tons «tutti frutti» les agrumes et les fruits rouges de la région. Les chaînes hôtelières internationales sont également friandes de cette tendance, qui leur permet de se démarquer. C’est le cas notamment de lancien hôtel Hilton Paris La Défense, dont les chambres vont été rénovées par Tenbrink avec Jean-Philippe Nuel. Les tons gris très contemporains et les motifs graphiques des têtes de lits rappellent la structure du CNIT, centre de congrès au sein duquel est installé l’hôtel. Pour l'ancien directeur qui a suivi les travaux de rénovation, Stéphane Mercier, les hôtels de l’enseigne doivent avoir « une certaine constance et garder le même confort pour le client, mais chaque établissement garde sa propre identité. Celui de La Défense mise sur le côté contemporain en rapport avec son environnement alors que celui de l’Arc de Triomphe est très Art Déco. Un hôtel doit ressembler à sa situation et le client doit pouvoir se dire qu’il est en France lorsqu’il se trouve à l’intérieur». Le prochain chantier du directeur concernera la réception de l’hôtel.La même logique s’observe dans le travail de Nicolas Adnet et Marc Hertrich. Ils travaillent actuellement sur la réalisation d’un village Club Med en Chine pour lequel ils ont imaginé une ambiance reprenant les estampes chinoises, l’hôtel s’inscrivant dans un paysage proche de celui de la Baie d’Halong au Vietnam. Même logique au tout nouveau village Club Med de Valmorel, où tout a été fait pour que le client se sente à la montagne, des lustres en forme de bois de cerfs ou de branches d’arbres aux imposantes sculptures de cerfs posées sur les tables du restaurant, sans oublier les tons chaleureux de l’hôtel.D’autres exemples sont à observer dans le travail de la société Tembrink, comme le décrit Manfred Terliesner : « Tenbrink a rénové les chambres et suites du Royal Riviera sur la Côte d’Azur selon les dessins de Pascal Allaman dans le style des années 50, lorsque les stars de cinéma internationales sont retournées dans la région avec gloire et glamour. Au Radisson Blu Ambassador, des aspects de décoration artistique du Boulevard Haussmann ont été repris. La conception du Méridien Grand Hotel Nuremberg associe l’Art Nouveau, les cartes du ciel du célèbre artiste et mathématicien de Nuremberg Albrecht Dürer et ses attributs de la haute couture française et des voyages ».

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