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Entretien avec Claude Moscheni et Didier Gros, Groupe Accor

8 min de lecture

Publié le 08/12/11 - Mis à jour le 17/03/22

Lauréats du Trophée de la Reconnaissance Professionnelle 2011 Formé à l’école hôtelière de Toulouse, jeune professionnel en début de carrière dans le Sud-Ouest, Claude Moscheni a été appelé par Paul Dubrule à Lille pour ouvrir le 2ème Novotel de la région et le 7ème en France. Quarante ans plus tard, il aura la haute main sur 1 000 hôtels dans le monde (Sofitel, Novotel et Mercure) avant de prendre une retraite active, sans jamais vraiment quitter le métier. Didier Gros, après l'école hôtelière de Strasbourg, a fait son apprentissage en hôtellerie dans les plus grandes maisons : Grand Hôtel, Meurice, Prince de Galles et Grosvenor House de Londres, avant de rejoindre Novotel puis le groupe Accor, supervisant la fusion Pullman et Sofitel, et se consacrant ensuite à animer et développer le pôle hôtelier regroupant les Ibis, Formule1 et Etap Hotel. Photo ci-dessous, de gauche à droite : Didier Gros, Mariano Pérez Claver (P-DG NH Hoteles), Claude Moscheni, et Rakesh Sarna (COO International Hyatt Hotels)

En vous attribuant ce Trophée de la Reconnaissance professionnelle, les membres de l’Advisory Board ont tenu à récompenser un tandem, comme le groupe Accor en a beaucoup connu dans la phase de construction et de consolidation. Comment l’avez-vous ressenti ?C. M. : A ma mère, mon père qui m’ont transmis beaucoup de leurs qualités. A mon épouse Josiane qui m’a très bien accompagné et soutenu et accepté, bien souvent, que je la laisse seule avec nos enfants. A nos filles Delphine et Céline et à leur mari, à qui je souhaite une carrière encore meilleure que la mienne. Bien sûr à Paul Dubrule et Gérard Pélisson qui m’ont donné toute leur confiance et leur appui, en permanence. Enfin à tous ceux qui m’ont accompagné et avec qui nous avons réalisé tant de choses pendant toute ma carrière.Claude Moscheni :La constitution du tandem originel, entre Paul Dubrule et Gérard Pélisson, est la condition même de la réussite du groupe. La complémentarité des deux personnalités et des deux expériences s’est transformée en force positive. Je crois surtout que cette manière de fonctionner apprend le respect que l’on se doit l’un envers l’autre, un respect qui ensuite se répercute envers l’ensemble des collaborateurs et c’est sans doute la marque de fabrique du groupe qui a toujours mis en avant la proximité avec tous les niveaux du terrain, comme du siège.Didier Gros :J’ai vécu plusieurs fois ce cas de figure qui est à la fois très enrichissant, dans l’expression de la complémentarité, mais, il faut le dire aussi, compliqué à reproduire et à vivre sur la durée. L’exercice est difficile pour arriver à cheminer entre la confrontation possible et la recherche systématique du compromis mou. C’est un mode de fonctionnement qui est exceptionnel et il faut en souligner la rareté.On vous a naturellement présenté tous les deux comme les pionniers d’une aventure, dont vous aviez peut-être peu conscience en la débutant. Quel regard avez-vous sur votre parcours aujourd’hui ?C. M. :C’est vrai que je porte, en toute humilité, la même appréciation sur ma carrière que vous... Une aventure de pionnier. Je me souviens d’avoir dit à Paul Dubrule pour les 40 ans de Novotel : «Vous ne m’avez pas dit la vérité en m’engageant. Quand j'ai ouvert le 7ème hôtel du groupe, vous m’annonciez que nous devrions arriver un jour à 100… On a dépassé les 4 000 hôtels. Je sais, vous avez été trop vite ! m’a-t-il répondu. A l’époque, rien ne pouvait nous arrêter. Nous étions disponibles et avec une formidable envie de faire nos preuves. Nous avions une capacité extraordinaire de réaction et c’est ce qui nous permis de construire les choses.D. G. :Je constate avec une certaine tristesse que les offres de recrutement actuelles sont formatées pour trouver des jeunes qui ont déjà toutes les qualités. La force des fondateurs est de nous avoir fait confiance, en prenant des risques. Ils nous ont donné littéralement les clefs de la maison, avec le carnet de chèques sans limite de plafond. En contrepartie, nous gérions les affaires comme si c’était les nôtres avec une formidable passion et l’envie de réussir. Au bout du compte, je ne crois pas qu’ils ont été déçus. Aujourd’hui on veut aller trop loin dans la maîtrise des risques et trouver des collaborateurs parfaits. Cela n’existe pas.Qu’est ce qui a changé en profondeur dans le fonctionnement par rapport à «votre époque» ?C. M. :Dans la présentation des objectifs, les présidents insistaient toujours sur les trois catégories à satisfaire, dans l’ordre : les clients, le personnel et les actionnaires. La Bourse a pris le dessus sur les collaborateurs et je ne considère pas cela comme un progrès. La force du groupe a été bâtie sur une politique de ressources humaines très en avance sur son temps. Les équipes étaient au coeur du dispositif avec des notions de respect et de considération pour chacun d’entre nous. C’est une philosophie mise en oeuvre à tous les niveaux et on avançait vraiment comme des pionniers, sans état d’âme autre que la réussite.D. G. : La politique de RH est fondatrice de notre succès. Elle insufflait de la force. Les mots information, formation, évaluation, progression… avaient une réalité concrète. Si on nous donnait beaucoup de responsabilité et de liberté, c’était toujours avec les outils pour se former et pour s’améliorer à chaque étape. Cette politique a été mise en place de façon intuitive, naturelle, presqu’inconscience par les présidents. Elle a été institutionnalisée et structurée ensuite, mais c’était vraiment une innovation incroyable pour l’époque… et beaucoup d’entreprises de nos jours n’ont toujours pas atteint le niveau que nous avions il y a des dizaines d’années.Avez-vous le sentiment d’avoir vécu un Age d’Or de l’hôtellerie qui est moins prometteur aujourd’hui ?D. G. :Nous sommes de la génération du baby boom, qui a vécu le développement à fond. En partant à la retraite, nous laissons la place à d’autres aventuriers qui peuvent prendre le relais. Il y a encore d’immenses possibilités de carrière comme celles que nous avons eu la chance de vivre.C. M. :Ce que nous avons vécu à l’intérieur d’un groupe, au début à chaque lancement d'un nouvel hôtel ou d'une nouvelle marque, a changé de dimension. Aujourd’hui, c’est au niveau d’un pays que l’on peut revivre cette expérience de pionnier. C’est le cas actuellement en Chine, avec quelque 80 hôtels, Accor n’est qu’au début de l’aventure. Je suis souvent en Pologne pour suivre la filiale Accor et la faire encore progresser en suivant les mêmes méthodes qui ont fait notre succès : délégation, formation, discussion avec les partenaires sociaux… Pour les jeunes Polonais qui entrent chez nous, ils sont confrontés à la mobilité, la prise de responsabilité. C’est assez nouveau pour eux, mais on les accompagne.Dans vos responsabilités actuelles de patron, que vous reste-t-il de la culture Accor ?D. G. :Dans ma petite entreprise de franchise, je mets tous les jours en action les principes qui m’ont été inculqués. Nous avons ouvert deux nouveaux hôtels cette année et je ne peux pas imaginer un recrutement externe pour les postes de direction. Je préfère prendre un risque avec un jeune en interne dont j’ai repéré les capacités. C’est ce qui vient d’arriver avec un jeune, engagé comme night audit il y a deux ans, et qui à 23 ans prend la direction d’un hotelF1. Je sais qu’il va se donner à fond et moi je vais le suivre et lui apporter ce qui lui manque.C. M. :C’est un état d’esprit qui ne nous quittera jamais. J’ai eu un parcours très intense et aussi très intéressant. Dès le premier hôtel que j’ai dirigé, j’étais aussi maitre d’apprentissage et les gars qui sont venus travailler avec moi ont tous eu une très belle carrière tant dans l’hôtellerie que dans la restauration.A qui souhaitez-vous dédier ce trophée ?D. G. :J’ai pris cet Award comme un gamin a qui l’on donne un cornet de glace et se délecte. Comme je me suis régalé pendant 44 années ! Et ce n’est pas fini ! Je le dédie à l’ensemble des collaborateurs fantastiques qui ont travaillé ou travaillent avec moi, en les remerciant de la confiance qu’ils m’ont témoignée tout au long de mes tribulations. Je le dédie aussi à ceux qui sont devenus des amis au fil du temps, qui m’ont inspirés et soutenus. Paul et Gérard, bien sûr, Claude, Georges, Alain, Patrick, Jean-Paul, Jacques, Catherine, Sven, Christian, Marco, Shangzhi et les autres. Enfin c’est l’occasion où jamais d’un hommage à celle qui m’a supportée pendant cette traversée mouvementée, mon épouse, sans oublier mes enfants, Sandrine, Maika et Sebastien, mais aussi mon filleul Laurent Gabel, directeur d’hôtel chez Ibis, Novotel et Mercure, enlevé brutalement par un cancer à 45 ans.
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